L’acceptation de soi

L’acceptation de soi est un des thèmes préférés traités par l’éminent psychiatre Christophe André, dont je vous parlais dans un précédent article.

Interrogé par Psychologie Magazine, voici ses propres mots sur ce sujet vaste et qui nous concerne tous.

L’acceptation de soi est le début d’une vie plus sereine.

 

acceptation de soi

 

Je partage avec vous quelques questions du magazine et les réponses apportées par Christophe André.

L’acceptation de soi expliquée par un spécialiste du sujet

Dans votre parcours, vous êtes passé de la psychiatrie aux thérapies comportementales, puis au développement personnel et à la méditation. Que vous ont appris toutes ces approches sur l’acceptation de soi ?

« Ce que j’ai surtout éprouvé, c’est que l’acceptation de soi se construit dans une problématique plus globale d’acceptation de ses limites. Pour ma part, c’est le fait d’avoir été confronté à des échecs qui m’a fait évoluer dans ma pratique. La médecine nous inflige sans cesse des leçons d’acceptation : il y a des gens que l’on n’arrive pas à soigner, d’autres que l’on a soignés et qui rechutent, d’autres encore chez lesquels demeure un ultime symptôme dont on ne viendra pas à bout. S’accepter – il m’a fallu l’apprendre – n’est pas se résigner mais prendre le réel tel qu’il est, puis voir comment on peut agir à partir de là. Lorsque l’on rencontre ses propres limites, on peut soit basculer dans le perfectionnisme (mais c’est une histoire sans fin : quand sera-t-on enfin à la hauteur de ses propres exigences ?), soit accepter d’être un thérapeute imparfait – ce qui ne veut pas dire incompétent – et faire de son mieux. Reconnaître mes insuffisances sans m’y résigner m’a conduit à m’intéresser à d’autres approches. Du soin, je me suis tourné vers la prévention, vers ce qui pourrait aider les patients à préserver leur santé, à devenir plus forts, plus confiants, plus lucides : la psychologie positive, la méditation. »

L’âge donne-t-il accès à plus de bienveillance envers soi ?

« Incontestablement. Je suis sorti de la fureur de guérir, je me suis dégagé de la notion de rendement thérapeutique. Ce qui ne veut pas dire que je me fiche du résultat. Mais j’ai admis que je ne pouvais pas tout, et que personne ne me le demandait. Cela m’a rendu plus patient, plus confiant. J’ai appris qu’il fallait laisser le temps faire son œuvre, compter aussi sur les ressources du patient, son entourage, son savoir-faire propre. C’est bien d’être performant, ça donne un sentiment de contrôle, ça ouvre des portes dans un système compétitif. Mais ça ne résout rien : on demeure avec ses angoisses que l’on essaie de dissimuler. Aller vers l’acceptation de soi suppose de sortir de cette logique concurrentielle et de rechercher plutôt une collaboration qui apaise : reconnaître que les autres contribuent à nos réussites, les laisser nous rendre meilleurs. »

Comment sortir de cet aveuglement sur soi ?

« Les thérapies comportementales misent beaucoup sur les techniques d’exposition. Il s’agit de se confronter aux autres et aux situations redoutées afin de constater que le réel est moins terrible que le virtuel de nos croyances erronées. Je recommande vraiment la thérapie de groupe. Elle a un effet très puissant sur l’image de soi. On y fait l’expérience que le regard des autres, dont on avait si peur, peut aussi nous réparer. À l’hôpital Sainte-Anne, j’ai beaucoup travaillé avec des personnes qui souffraient d’anxiété sociale du fait de leurs problèmes d’estime de soi. Dès la première séance, le groupe apportait un véritable soulagement. Les patients ont tendance à se croire uniques en leur genre avec leurs tares supposées. Là, ils découvraient que les autres participants, qu’ils voyaient en apparence comme des gens sûrs d’eux, vivaient au fond les mêmes doutes, la même détresse. Et que même les internes et les stagiaires psychologues, qui participaient activement aux échanges, avaient des complexes. La question, dès lors, n’était plus de devenir quelqu’un de parfait, mais de voir comment on peut parvenir à s’aimer tel que l’on est, et construire sa vie en cessant de craindre le jugement des autres. »

À quoi cela ressemble-t-il de s’accepter pour de vrai ?

« En thérapie, il y avait un marqueur très significatif, c’était le moment où le patient cessait d’avoir le nez rivé sur lui-même pour s’intéresser aux autres. Quand on se juge beaucoup, on s’observe en permanence. Mais quand ce jugement s’allège se produit ce que nous appelons, dans notre jargon, le « silence de l’estime de soi » : j’arrête de me demander si je vais être à la hauteur, si on va m’apprécier, si ma tenue convient. Et je commence à être curieux de ceux que je vais rencontrer, de ce qui va se passer. Je commence à me laisser aller au mouvement de la vie, à l’imprévu. À accepter l’idée qu’une vie normale est faite d’une multitude de petits échecs, d’une confrontation permanente à ses doutes et à ses limites, et que c’est ainsi que l’on avance. Croire qu’il faut assurer en toute circonstance, c’est comme imaginer qu’une existence peut se dérouler sans une panne d’électricité, un pneu crevé ou la pluie qui tombe lors d’un pique-nique. Les gens qui vont bien ne sont pas des gens parfaits qui réussissent tout, ne font jamais d’erreur, ne disent jamais de bêtises. Ce sont juste des gens qui ont intégré que ces choses-là peuvent arriver, que rien n’est irréversible et que tout peut s’arranger. »

Et vous, Christophe, qu’est-ce qui vous a aidé à vous accepter ? L’acceptation de soi pour vous ?

« J’ai été quelqu’un de très anxieux, j’avais beaucoup de peurs. Et puis je me suis aperçu que certaines phrases, lorsqu’elles nous touchent au bon moment, quand on est comme le bernard-l’ermite à la fois vulnérable et sur le point de sortir de sa coquille, peuvent nous faire beaucoup de bien. Un jour, un patient m’a confié qu’une phrase que je lui avais dite en lui serrant la main, une phrase très banale, mais dite chaleureusement et sincèrement – « C’est capital de prendre soin de vous » –, avait profondément modifié sa relation à lui-même. La méditation m’a aussi convaincu de l’effet transformateur de ces phrases qui agissent comme des mantras lorsqu’elles sont empreintes de poésie, de musicalité. Une pensée me fait du bien : « Fais de ton mieux et n’oublie pas d’être heureux. » Il m’arrive aussi de la répéter à mes filles. Parce qu’au fond personne ne nous demande d’accomplir l’impossible. Tout ce qui compte, c’est de faire au mieux et d’être heureux. Et de rendre heureux  ! Mince, voilà, mon mantra s’allonge… »